C’était mon tour

23 juillet 2018

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C’était mon tour.

Quand ma meilleure amie (et ma colocataire) s’est faite laisser par son amoureux (et mon colocataire), le monde a semblé s’arrêter pendant quelques jours. Dès le moment où j’ai été réveillée par la lumière de son cellulaire et par ses sanglots incontrôlables à 3heure du matin, une pesanteur s’est installée dans l’appartement. C’était comme si la mort rôdait. Je suis allée travailler le lendemain en la laissant dormir, roulée en boule dans mon lit, et j’ai passé la journée à ne rien comprendre.

Le soir même, elle partait chez ses parents et je me retrouvais bouleversée et seule, le cœur un peu brisé. Mon noyau, mon foyer venait d’éclater et mes repères s’enfuyaient. J’avais mal pour elle, mal pour lui, mal pour moi. Alors j’ai pleuré pour moi, pour lui, et surtout pour elle.

Je me suis réfugiée dans une bulle de romans d’amour et de films romantiques, me disant que oui, ça existait encore. Lorsque nous sommes revenues à l’appartement, le sentiment d’oppression avait disparu en même temps que notre colocataire. Seul ses affaires nous rappelaient continuellement cette rupture.

Ma colocataire n’était pas ma première amie à tomber dans la mer des cœurs brisés. J’avais navigué sur ces eaux plusieurs fois, dans ma chaloupe, pour récupérer mes amies qui essayaient de ne pas s’y noyer. J’avais rassuré, écouté, conseillé. J’avais haïs avec elles, aimé avec elles, pleuré avec elles. Et je leur avais tenu la main pour remonter la pente, doucement, un pas devant l’autre.

Et j’avais souris lorsqu’elles avaient trouvé un autre gars ou une autre fille. J’avais tapé des mains lorsqu’elles rougissaient devant la fragilité des débuts, des étoiles dans les yeux. J’avais été heureuse lorsqu’elles me copiait des bouts de conversation, quand elles me racontaient leurs soirées, leurs espoirs et les papillons dans leurs ventres. J’avais encouragé, ris, dédramatisé, conseillé. Et j’avais été la plus grande fan de leur nouvel amour naissant. Elle le mérite, que je me disais.Elle est descendu si bas, elle a eut tellement de peine. Rien n’arrive pour rien.

Et puis ma colocataire s’est inscrite sur Tinder et je l’y ai accompagné. 2018 allait être notre année; nous allions être heureuses, sortir, rire et accumuler les nouvelles expériences et les voyages. Elle voulait se sentir désirée, je voulais l’aider à retrouver ce sourire qui atteignait ses yeux. C’était un jeu, une idée pour rire et passer doucement à autre chose.

Elle s’est mise à enchaîner les matchs, à recevoir des dizaines de messages de garçons intéressés. Elle souriait, retrouvait ces papillons et ce sentiment de flatterie qui lui faisait défaut depuis longtemps. Je n’avais pas de matchs, pas de messages, et je m’endormais les larmes aux yeux devant cette comparaison que je ne pouvais m’empêcher de faire. Ma confiance en moi dégringolait avecl’avis de ces garçons qui me jugeaient d’un coup de pouce rapide. J’ai désinstallé l’application et retrouvé le sourire.

Et tout a éclaté quand elle a eut un coup de foudre virtuel.

C’était mon tour.

Je ne pouvais rester seule sans m’effondrer en larmes. Je sentais celle boule constante dans ma gorge. Je cachais ma détresse derrière un sourire quand ma meilleure amie me racontait innocemment son bonheur. Je me sentais détestable d’être jalouse et d’avoir ces pensés égoïstes. Je m’abreuvais de son histoire d’amour comme un rescapé du désert avec l’eau.

C’était mon tour.

J’avais ramassé toutes ces personnes au plus bas. Je les avais aidé à remonter à la surface. Je les avais vu retomber en amour, avancer et me laisser derrière. Je les avais laissé partir comme on le fait avec ses enfants, en les lançant dans le vide avec fierté. Mais cette fois, c’était trop près de moi. C’était trop rapide, trop intense, trop beau. J’avais mal au cœur, comme dans un manège, et je voulais que ça s’arrête.

C’était mon tour.

J’étais capable de gérer un couple de 5 ans dans mon appartement. J’étais capable de gérer leur amour, leurs baisers, leur tranquille et confortable routine. Mais une nouvelle relation? Les papillons? La passion? L’envie de parler 24h/24 de l’autre, de se fondre en lui, de crier sur tous les toits son bonheur? Je ne sais pas. Sincèrement? Égoïstement? Je ne sais pas. La boule dans ma poitrine apparaît et disparaît, en vagues. Je la regarde tomber en amour. Je la regarde s’éloigner, avancer. Et même si elle m’assure qu’elle ne me laisse pas derrière, qu’elle est toujours là, elle est ailleurs. Elle est à ses côtés, continuellement, virtuellement. Elle est reliée à lui par son cellulaire, par leurs discussions pianotées jusqu’à deux heures du matin. Et j’ai les pieds fondus dans le sol. Je la regarde s’éloigner, incapable de la retenir par la main, ne voulant surtout pas la retenir. Elle le mérite. Elle est merveilleuse, elle mérite d’être heureuse et de trouver sa personne.

J’ai les pieds fondus dans le sol, en bordure de la route. Je fais du surplace. Je sens une urgence dans tout mon corps pour me dégager, pour rejoindre cette route, mais sans réussir. J’essaie de croiser le regard des gens qui passent devant moi, seuls. Peut-être qu’un d’entre eux voudrait m’aider? Peut-être qu’un d’entre eux pourrait me dégager les pieds, prendre ma main et marcher avec moi sur la route?

Non. Personne. Je cris, j’appelle. Personne.

C’était mon tour.

Si ce n’était pas là, alors quand? Combien encore de personnes devrais-je consoler, soutenir et pousser vers les papillons avant de pouvoir y goûter, moi aussi? Est-ce que ça allait arriver?

Égoïste.

Je suis contente pour elle.

Elle le mérite.

Et moi?

Rien n’arrive pour rien. Attend ton tour.

Mais quand?

Quand?

Oui. Quand.

By Josiane

Bloggeuse, étudiante, lectrice assidue, rieuse et adepte du bonheur, Josiane cherche continuellement de nouveaux trucs pour remplir son quotidien de magie et de bien-être. Elle retrouve son essence en nature et rêve de vivre de son écriture, installée dans une petite fermette de campagne.

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